
Une ascension fulgurante : des ses débuts modestes à l’icône mondiale
Il y a des musiciens qui marquent leur époque, et il y a ceux qui redéfinissent les règles du jeu. Jimi Hendrix appartient à cette dernière catégorie. Né en 1942 à Seattle, il grandit dans un environnement modeste où la musique devient rapidement une échappatoire. Son père, Al Hendrix, lui offre sa première guitare acoustique d’occasion, et dès lors, Jimi passe des heures à jouer, perfectionnant son style en autodidacte, sans jamais prendre de cours formels.
Très tôt, il développe un jeu singulier : gaucher dans un monde pensé pour les droitiers, il retourne l’instrument et réinvente sa manière d’en jouer. Inspiré par des légendes du blues comme Muddy Waters et B.B. King, il absorbe leur langage musical tout en y injectant son propre feu intérieur. C’est cette combinaison unique qui fera de lui un innovateur et non un simple imitateur. Avant de devenir une légende, Hendrix fait ses armes en tant que guitariste de session, accompagnant des artistes de rhythm and blues comme Little Richard, The Isley Brothers et King Curtis. Cette période, bien que formatrice, est frustrante pour lui : son jeu exubérant et sa soif d’expérimentation dépassent souvent ce que ses employeurs attendent de lui. Lassé de rester dans l’ombre des autres, il décide de tenter sa propre aventure.
En 1966, tout bascule lorsqu’il rencontre Chas Chandler, ex-bassiste des Animals, qui perçoit immédiatement le potentiel hors normes du jeune guitariste. Chandler convainc Hendrix de le suivre à Londres, où la scène musicale est alors en pleine effervescence. C’est là que Jimi forme le Jimi Hendrix Experience avec le bassiste Noel Redding et le batteur Mitch Mitchell. Dès leurs premières apparitions, le trio suscite une onde de choc : personne n’a jamais vu ni entendu un guitariste comme lui.
En quelques mois, Hendrix passe du statut de musicien inconnu à celui de phénomène mondial. Son premier single, « Hey Joe », devient un succès immédiat, suivi de « Purple Haze » et « The Wind Cries Mary », qui confirment son talent hors du commun. Avec son premier album, « Are You Experienced » (1967), il impose une nouvelle vision du rock, fusionnant le blues, le psychédélisme et une approche inédite de la guitare électrique. De retour aux États-Unis, son ascension aussi fulgurante qu’exceptionnelle fera de lui une icône incontournable.
Une technique révolutionnaire : au-delà des limites de la guitare électrique
Si Hendrix est aujourd’hui considéré comme le guitariste ultime, c’est parce qu’il a repoussé toutes les frontières techniques et sonores de l’instrument. Il ne se contente pas de jouer : il sculpte le son, expérimente avec des effets, et transforme la guitare en un véritable prolongement de son être. Son approche est une fusion audacieuse entre technique, instinct et innovation, qui continue d’influencer des générations de musiciens.
La magie de la distorsion et du feedback
Là où d’autres voient dans le feedback une nuisance, Hendrix en fait un outil d’expression. Il contrôle les larsens, les module et les intègre à son jeu avec une aisance inégalée. Il est aussi l’un des premiers à exploiter à fond les pédales d’effets, notamment la Wah-Wah (entendue sur « Voodoo Child (Slight Return) ») et la Fuzz Face, qui donne ce grain saturé et agressif à ses solos.
Il utilise également l’Octavia, une pédale qui double le signal une octave au-dessus, ajoutant une dimension étrange et envoûtante à des morceaux comme « Purple Haze ». Le Uni-Vibe, quant à lui, simule l’effet des haut-parleurs rotatifs et donne une sensation de mouvement et de flottement, renforçant encore plus l’aspect psychédélique de sa musique.
Un jeu rythmique et mélodique hors du commun
Contrairement à de nombreux guitaristes solistes de l’époque, Hendrix ne se repose pas uniquement sur des solos flamboyants. Son approche rythmique est tout aussi révolutionnaire : il mélange accords et mélodies en une seule phrase musicale, un style que l’on retrouve notamment sur « Little Wing ». Ses progressions harmoniques sortent des sentiers battus, influencées autant par le blues que par le jazz et le rock psychédélique.
Sa technique du thumb-over-neck, où il utilise son pouce pour fretter les notes des cordes graves, lui permet de jouer des accords enrichis tout en laissant ses doigts libres pour insérer des mélodies et des embellissements. C’est une approche que l’on retrouve sur des morceaux comme « The Wind Cries Mary », où chaque accord devient une véritable fresque sonore.
Hendrix est aussi un maître du bending et du vibrato, donnant à ses notes une expressivité presque humaine. Sur « Red House », il revisite le blues avec une liberté totale, étirant les notes au-delà des conventions du genre. Ses hammer-ons et pull-offs rapides créent des cascades de notes fluides qui semblent couler naturellement de ses doigts.
Une interaction inédite avec l’instrument
Jimi Hendrix ne jouait pas simplement de la guitare, il la vivait. Il expérimentait avec la manière dont le son réagissait à son toucher, à son attaque et à l’environnement sonore. Il pouvait frapper les cordes avec le côté de sa main, créer des percussions en tapant sur le corps de l’instrument, ou encore utiliser des harmoniques artificielles pour ajouter des textures aériennes à ses solos.
Une autre de ses signatures était son utilisation du volume et du tone pour sculpter la dynamique de ses morceaux. Il abaissait le volume pour des passages doux et cristallins avant d’exploser en saturation totale, donnant une impression de relief sonore. Il exploitait aussi les effets de résonance de son ampli Marshall, jouant avec les limites de la saturation pour donner une profondeur presque orchestrale à son jeu.
Des performances scéniques incendiaires
Il ne suffit pas d’écouter Jimi Hendrix pour comprendre son impact. Il faut aussi visionner ses concerts Chacun de ses live était un spectacle total, où la guitare devenait une extension de son corps. Son interprétation de « The Star-Spangled Banner » à Woodstock en 1969, qui a contribué à sa légende, en témoigne. Cette version distordue et habitée de l’hymne américain, en pleine guerre du Vietnam, est devenue un symbole de rébellion et de contestation. Hendrix repousse aussi les limites du showmanship : il joue avec les dents, derrière la tête, met le feu à sa guitare (Monterey, 1967)… Une attitude qui contribue à faire de lui une figure mythique du rock.
Mais au-delà du spectaculaire, Hendrix possède une capacité rare à transcender la musique par sa présence scénique. ll vit chaque note avec une intensité presque mystique. Sa gestuelle, entre exaltation et transe, hypnotise le public, qui assiste à une véritable communion entre l’artiste et son instrument.
À l’Isle of Wight en 1970, l’un de ses derniers concerts, il livre une performance brute, marquée par une tension palpable et une expressivité exacerbée. Même lorsqu’il joue « Hey Joe » ou « All Along the Watchtower », des morceaux déjà bien connus, il les réinvente à chaque interprétation, faisant de chaque live une expérience unique.
Son utilisation des effets en direct est tout aussi impressionnante. Il manipule sa pédale Wah-Wah en pleine improvisation, ajuste ses amplis en temps réel pour obtenir des sons inédits, et n’hésite pas à pousser son matériel dans ses retranchements. Son rapport physique à la guitare, entre caresses et attaques furieuses, fait de chaque performance une véritable odyssée sonore.
Aujourd’hui encore, regarder une vidéo de ses concerts, c’est comprendre pourquoi il demeure un artiste à part, un chaman électrique qui a redéfini la scène rock.
Une influence qui traverse les générations
Hendrix n’aura sorti que trois albums studio avant sa mort tragique en 1970 à l’âge de 27 ans, mais son empreinte est indélébile. « Are You Experienced » (1967), « Axis: Bold as Love » (1967) et « Electric Ladyland » (1968) sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre incontournables.
Son héritage se ressent dans tous les genres :
- Blues et rock : Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton et John Mayer ont tous cité Hendrix comme une inspiration majeure.
- Hard rock et métal : Eddie Van Halen, Slash ou encore Kirk Hammett (Metallica) ont repris ses innovations techniques et son utilisation des effets.
- Hip-hop et musique électronique : son utilisation des boucles et des textures sonores a influencé des producteurs comme Dr. Dre ou Flying Lotus.
Jimi Hendrix aujourd’hui : une légende de la musique
Plus d’une cinquantaine d’années après sa disparition, Jimi Hendrix reste une référence absolue. Son nom est régulièrement cité comme le plus grand guitariste de tous les temps, et sa musique continue d’inspirer des artistes de tous horizons. Ses albums se vendent encore par milliers, et des enregistrements inédits continuent de voir le jour. Hendrix n’était pas qu’un guitariste : il était un visionnaire sonore, un artiste qui a repoussé les limites de ce que l’on croyait possible avec une guitare électrique. Aujourd’hui encore, ses solos résonnent comme une onde de choc intemporelle.
Sources :
- Harry Shapiro & Caesar Glebbeek, Jimi Hendrix: Electric Gypsy, St. Martin’s Press, 1995
- Charles R. Cross, Room Full of Mirrors: A Biography of Jimi Hendrix, Hyperion, 2005
- Dossier Hendrix – Rolling Stone Magazine
- Rock and Roll Hall of Fame – rockhall.com
- Jimi Hendrix: Hear My Train A Comin’, PBS/BBC, 2013
- Interviews techniques – Guitar World, Reverb.com, Premier Guitar